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En contre bas de la tour Montparnasse, le bar à la grande façade, c'est le « Cadran Breton ». C'est plein, ça chante, ça danse, les demis de bière ou de cidre se choquent les uns contre les autres, les
clients conviviaux aiment trinquer ou déguster le chouchenn, ces trois boissons créées par les celtes. Dans ce lieu insolite, les trois quarts des clients sont originaires de Bretagne, de Mayenne ou de Vendée et
d'autres des différents bocages. Ils viennent là pour communier dans une ambiance très populaire. De temps à autre des antillais ayant une cuisse bretonne apportent leurs grains de beauté sur une assemblée composée de
visages que certains pourraient trouver trop laiteux. Pas de cosmopolitisme culturel dans ce lieu, qui est une clairière de la forêt de Brocéliande. Le juke-box ne comporte que des chanteurs de qualité : Brel,
Brassens, des chansons de marins, Stivell, Servat et le grand barde Glenmor. Les consommateurs n'hésitent pas à accompagner de leurs voix leurs chanteurs préférés. Lorsque la voix s'éraille un peu l'on se fait servir un
petit verre d'hydromel. Ambiance bon enfant et très décontractée, les banlieusards originaires de nos campagnes se retrouvent là pour faire la fête, avant de partir pour un week-end au pays, dans son terroir. Quel est
l’homme d'Armorique travaillant en Ile-de-France qui ne s'y est pas arrêté humer un peu l'air du pays avant de prendre le train. Cet endroit aurait plu au journaliste de « La vie du rail » Henri Vincenot, l'écrivain
populaire Bourguignon. Le « Cadran Breton » où s'oxygènent ceux qui ont refusé de rompre avec l'environnement d'origine et de se laisser manipuler par la sous-culture hollywoodienne et mondialiste de caniveau.
Derrière son bar ou en salle, c'est Marcel, un lutin de Brocéliande. De petite taille, le regard rusé et la mine d'un roublard, normal, on n'est pas lutin en se levant le matin. Est-ce l'esprit du lieu ou la magie des
fées qui donnent à ce patron de bar un charisme hors du commun. Il n'est pourtant que le fils d'un petit paysan de Saint Malon-sur-Mel, une vaste clairière de la forêt de Brocéliande, un lieu de naissance prédestiné et
aussi une filiation spirituelle transmise lors d'une gorased. Sommes nous en face de la réincarnation d'un esprit ? « Les druides enseignaient la croyance en la métempsycose, plus de cent mille Français se seraient
convertis au bouddhisme. Pourquoi aller chercher chez les autres ce que l'on a chez soi ». Répond avec subtilité et un sourire jovial, digne d'un panchen-Lama, notre lutin qui officie en ce lieu. Prèche-t-il pour sa
paroisse ? Ce n'est pas un intellectuel, il n'a d'ailleurs pas cette prétention, mais quel esprit, quelle intelligence aiguisée aux réalités de la vie. L'on se demande parfois ou ce petit bonhomme va chercher ses
réparties. L'esprit le plus rationnel est obligé de s'interroger. L'homme ayant quitté l'école à quatorze ans pour travailler durement n'a donc pas traîné ses fesses sur les bancs d'une université. « On n'a rien, pour
rien, ma faculté est dans le pré, mes séminaires dans les clairières, les pseudos révolutionnaires de Mai, sont les alliés du grand capital’et ont fait de vous des esclaves, c'est eux qui aujourd'hui sont aux leviers de
commande, ils ne viennent plus trinquer chez Marcel avec le peuple, ils se gobergent à la Tour d'Argent. » De telles réponses ont de quoi vous laisser sur le cul.
Le lendemain matin, je me réveille avec la gueule de bois, effet de l'alcool ou sort maléfique jeté par le lutin ? Qu'en sais-je, mais qu'importe, je me suis bien amusé ?
Yann.- Kel Morin |